Au sein de l’IPSL, le thème Composition atmosphérique et qualité de l’air, ou Composair, rassemble les expertises de chercheurs de diverses disciplines pour comprendre et documenter la formation des composés chimiques dans l’atmosphère. Ce sont Juan Cuesta (LISA-IPSL), Valérie Gros (LSCE-IPSL) et Karine Sartelet (CEREA-IPSL) qui ont la tâche d’animer ce thème et de mettre en commun le savoir-faire et les travaux des membres du groupe.
Lors d’un conseil de l’IPSL (2020), ils ont partagé leurs analyses de l’impact du confinement lié à l’épidémie de COVID-19 sur la qualité de l’air. Plusieurs approches, par mesure in situ, par télédétection ou par modélisation ont permis de documenter cet impact.
Grâce au site multi-instrumenté de l’IPSL déployé sur le plateau de Paris-Saclay, les composés réactifs que sont les gaz et aérosols, sont mesurés en continu depuis bientôt 10 ans. Cette batterie exceptionnelle d’instruments de pointe donne accès à la composition atmosphérique, et permet aux chercheurs d’analyser la qualité de l’air avec précision, en lien avec les nombreux paramètres dynamiques également mesurés sur le site.
Or pendant une période de confinement, la qualité de l’air est impactée par le changement brutal des habitudes de la population. L’air est-il plus pur en période de confinement ? Quels sont les polluants les plus observés ? L’arrêt du trafic suffit-il à stopper la pollution ? Les chercheurs Valérie Gros, Karine Sartelet et Juan Cuesta, experts respectivement en chimie atmosphérique, en modélisation atmosphérique et en télédétection de la composition atmosphérique, font un premier bilan de leurs observations.
L’émission de certains polluants a largement diminué durant le confinement
VRAI
Valérie Gros. Le confinement a fortement ralenti les déplacements humains. En conséquence, la pollution causée par les émissions d’oxydes d’azote émanant des trafics routier et aérien, a été beaucoup moins intense qu’en temps normal. Les mesures de concentration de dioxyde d’azote, réalisées dans plusieurs stations franciliennes par l’organisme de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France Airparif, ont ainsi montré une baisse de -20 à -35% et jusqu’à -50% le long des axes routiers : une situation de réduction drastique du trafic et des polluants totalement inédite. Une diminution similaire de ces polluants a été aussi observée dans les nombreuses régions dans le monde dont les populations ont subi un confinement strict.
Cela étant, le trafic n’est pas la seule source de pollution directe dans une ville. Les composés que nous observons sont soit d’origine primaire, c’est-à-dire créés par l’activité humaine ou la végétation, soit secondaires, créés par réaction chimique dans l’atmosphère. Grâce à notre site observatoire sur le plateau de Saclay et équipé d’instruments de haute technicité comme les spectromètres de masse, nous avons accès à des informations sur toutes ces formes de pollution de l’air : quand est-elle plus importante, quelle est la composition chimique des particules et de leurs précurseurs gazeux, etc. Cela nous permet de documenter la composition atmosphérique d’observer les tendances par cycle, et d’essayer d’en comprendre les origines.
La diminution des émissions de polluants implique toujours une réduction de la pollution
FAUX
Juan Cuesta. La baisse d’émission de certains polluants peut aussi entraîner une augmentation de la pollution. Dans les grandes agglomérations par exemple, les oxydes d’azote contribuent à la destruction de l’ozone durant la nuit. Leur baisse a donc entrainé une augmentation de l’ozone : cela a réduit le phénomène de puits nocturne, et l’ozone s’est accumulé dans les villes.
Au contraire, l’ozone a diminué dans les zones rurales, loin des agglomérations, où les oxydes d’azote contribuent à la formation de l’ozone par réaction chimique avec le rayonnement solaire.
Le début du confinement en Île-de-France a été marqué par un pic de pollution
VRAI
Valérie Gros. Le jour même du confinement nous avons pu constater des pics de divers polluants, qui montrent que des sources étaient encore actives. La dynamique de l’atmosphère a aussi joué un rôle important : la période de début de confinement a coïncidé avec un changement des conditions météorologiques.
L’orientation et la vitesse des vents a favorisé l’accumulation des polluants dans la basse atmosphère. Au point que juste après le confinement, nous étions proches d’une situation d’alerte au niveau des concentrations de particules, alerte qui aurait certainement eu lieu si les conditions de trafic avaient été normales.
Stopper le trafic suffit à stopper la pollution
FAUX
Karine Sartelet. Le confinement nous a montré en expérience réelle qu’il n’y a pas que la source trafic qui impacte la qualité de l’air. La baisse brutale des trafics routier et aérien n’a pas suffi à compenser d’autres sources de pollution primaire qui ont continué à être actives, comme l’agriculture.
Nous avons aussi constaté une recrudescence de la pollution aux particules émises par le chauffage au bois, les gens étant chez eux en permanence. Le début du confinement a coïncidé avec de fortes concentrations de particules de nitrate d’ammonium. Ce composé est formé par réaction chimique dans l’atmosphère et le transport inter-régional de masse d’air. Les gaz précurseurs de ce composé étant émis par le trafic et par l’agriculture.
La réduction des émissions de trafic durant le confinement a donc certainement permis de limiter les fortes concentrations de nitrate d’ammonium observées, et contribué à éviter le pic de pollution printanier lié à l’agriculture.
Grâce aux études en cours, nous espérons avoir de plus en plus d’éléments pour analyser et modéliser les interactions entre les particules dans l’atmosphère. C’est capital pour comprendre la variabilité spatio-temporelle des concentrations, les impacts environnementaux, et prendre des mesures efficaces pour réduire les émissions de gaz.