Dans son rapport annuel de fin 2020, l’Agence Européenne pour l’Environnement rapportait que la qualité de l’air s’était sensiblement améliorée en Europe ces dix dernières années. Pour autant, cette amélioration n’a pas suffi à réduire significativement les troubles respiratoires et cardiovasculaires. Les Européens continuent de mourir prématurément à cause de la pollution.

La surveillance de la qualité de l’air est aujourd’hui plus que jamais essentielle pour prévenir les conséquences de la pollution sur la santé humaine, l'environnement et le climat. Avec le projet ARGONAUT, porté par Gaëlle Dufour chercheuse CNRS au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques (LISA-IPSL), les chercheurs/ingénieurs impliqués comptent apporter un éclairage nouveau sur les émissions de polluants et Gaz à Effet de Serre et contribuer à améliorer les services nationaux sur l’observation de la qualité de l’air et le changement climatique.

Le couplage  modèles et observations, un outil puissant

Le projet s’étend sur 4 ans et réunit trois laboratoires de l’IPSL le LISA, le LSCE et le CEREA, ainsi que l’INERIS (L'Institut national de l'environnement industriel et des risques) qui développe et gère la plateforme nationale de prévision de la qualité de l’air, Prev’Air.

L’objectif principal du projet est de fournir des estimations à haute résolution des émissions dues aux activités humaines pour les principaux polluants et le CO2, grâce notamment à la méthode de l’assimilation variationnelle et à la nouvelle génération de satellites d’observation de la composition atmosphérique.

Cette méthode d’assimilation des données est un outil historique à l’IPSL. Elle est utilisée dans les modèles de prévisions météorologiques depuis les années 2000. Ses bases théoriques avaient été posées en France dans les années 1980 par deux piliers de la communauté scientifique française Olivier Talagrand et François-Xavier Le Dimet.

« L’assimilation de données combine une connaissance initiale imparfaite du système venant d’un modèle de chimie-transport avec les informations venant d’observations in situ ou satellitaires. Or ces deux sources sont caractérisées par leurs erreurs respectives » explique Adriana Coman, ingénieure impliquée dans le projet.

« L’assimilation variationnelle prend en compte ces erreurs, en mesurant les écarts entre les concentrations estimées par le modèle et les données disponibles et en ajustant une solution (par optimisation) pour toutes les données disponibles sur toute la période d’assimilation », par opposition aux méthodes séquentielles, type Filtre de Kalman, qui ne traitent les observations qu'au fur et à mesure qu'elles sont disponibles.

Ce type de méthode appliquée aux données satellitaires a commencé à être inséré dans les modèles numériques de qualité de l’air à partir des années 2010, avec l'utilisation d'une nouvelle génération d'ordinateurs, capables d'effectuer rapidement un nombre de calculs d’une grande complexité.

« En introduisant une approche probabiliste sur la description quantitative du système étudié, en l’occurrence pour nous la composition atmosphérique, on arrive à mieux décrire l’état présent, à ré-analyser l’état passé et à mieux prédire l’état futur » explique Adriana Coman. « D’autre part, on est capable d’utiliser l’assimilation de données pour corriger les paramétrisations de nos modèles et de cette façon les rendre encore plus performants », ajoute-t-elle.

La synergie inter-polluants : une avancée  méthodologique

Jusqu’à présent, les polluants étaient assimilés séparément. Le projet ARGONAUT prévoit de les assimiler simultanément pour mieux prendre en compte leurs interactions, et mieux quantifier leurs contributions anthropiques, et ainsi essayer d’améliorer considérablement les cadastres d’émissions actuels, ce qui finalement nous permettra d’avoir des meilleures prévisions pour la qualité de l’air.

L’équipe s’appuiera notamment sur les données récoltées par Tropomi, l’instrument porté par Sentinel-5P, satellite d’observation de la Terre de l’Agence spatiale européenne développé dans le cadre du programme Copernicus dédié à la surveillance de l’environnement. « Nous développerons pour cela avec l’équipe projet un système d’inversion adapté à l'exploitation d’une imagerie à haute résolution capable même de séparer les sources de pollution à une échelle locale des villes ou de grands sites industriels », précise Adriana Coman.

Grâce à ce projet à la méthodologie innovante, l’équipe d’une vingtaine de spécialistes posera les briques d’un futur système opérationnel national de pointe. Ils contribueront ainsi à renforcer la place de la communauté française de modélisation inverse en tant qu’acteurs clés des services opérationnels européens utilisant l’imagerie satellitaire.

Démêlons la toison des émissions anthropiques…