Voir les régions : une question d’échelle


Le changement climatique en cours et à venir entraîne son lot d’évolutions et il est décisif d’avoir une bonne visibilité de ce qui se passe à une échelle locale. Cependant, améliorer la résolution des modèles demande des efforts sur plusieurs fronts. Davide Faranda, chercheur au LSCE-IPSL, apporte un éclairage sur le besoin de développer une vision locale en particulier au regard des risques d’évènements extrêmes, et les difficultés que cela sous-entend.

Pour que les acteurs locaux puissent se préparer au changement climatique il est essentiel d’avoir une bonne compréhension des risques et des impacts à un niveau régional. Mais chaque région a ses spécificités et les différents évènements climatiques extrêmes peuvent présenter des caractéristiques très diverses. Certains cas, notamment les évènements de fortes pluies, restent complexes à estimer car ces évènements sont très localisés, difficiles à observer et par nature rares. Davide Faranda, chercheur de l’équipe ESTIMR du LSCE-IPSL, utilise une approche particulière pour comprendre pourquoi les évènements climatiques extrêmes peuvent changer et de quelle manière avec le changement climatique. Le but est de chercher à définir les évènements extrêmes, non seulement par leurs valeurs minimales et maximales, mais aussi en fonction des conditions météorologiques qui y sont associées. « Nous étudions la circulation atmosphérique, par exemple les champs de pressions, pour voir si la position et l’intensité de cyclones et anticyclones peuvent déterminer certains évènements extrêmes climatiques » indique Davide Faranda.

Leur approche générale de calcul vise à estimer si le futur nous réserve des conditions atmosphériques plus stables (jours chauds et secs) ou instables (jours de pluie et de vent). « Nous avons remarqué[1]qu’un océan plus chaud perturbe les propriétés chaotiques de l’atmosphère et aurait tendance à amener plus fréquemment des jours avec de la pluie et du vent sur la France à l’instar du mois de mai 2021 » illustre le chercheur. Ce réchauffement de l’océan se traduit dans une modification de la circulation de l’atmosphère à l’image d’un hammam. Aujourd’hui cette approche à échelle continentale se décline sur des cas spécifiques comme les fortes pluies de 2019 en France et en Italie. Cela dans l’optique de déterminer la part de responsabilité du changement climatique dans leur survenue et comment ils peuvent être impactés par l’évolution du climat.

Le passé, boussole du futur

Les évènements passés servent de boussole aux chercheurs. Ils se reposent souvent sur les bases de données en service depuis 1979 pour étudier les caractéristiques d’évènements passés similaires à ceux qu’ils veulent étudier aujourd’hui. Ainsi pour un cas de pluie orageuse ils ciblent des cas analogues passés et se renseignent sur les conditions atmosphériques associées. Cela peut être par exemple être la différence de température entre le sol et l’atmosphère, en partie à l’origine des orages en créant de l’instabilité. Et ces informations aident également à se projeter dans le futur : ces statistiques sur les évènements extrêmes donnent aux chercheurs les clés pour estimer le lien éventuel avec le changement climatique, actuel et futur. Notamment dans le cas des orages, il est connu que les surfaces continentales se réchauffent plus vite que l’atmosphère. Cette différence de température peut alors être à l’origine d’une plus grande instabilité dans l’atmosphère qui entraînerait plus d’orages. Cela dit les évènements pluvieux ne sont pas tous similaires.

« A l’heure actuelle il n’est pas possible de tirer des conclusions générales sur l’évolution des pluies, car chaque événement à des caractéristiques particulières » annonce Davide Faranda. « Dans l’ensemble ces évènements montrent une variabilité plus marquée, avec des pluies plus intenses et des périodes de sécheresses plus fortes » ajoute-il. Les évènements extrêmes spécifiques sont difficiles à classer car ils ne sont pas tous liés aux mêmes mécanismes. Certains sont associés à des cyclones ou tempêtes tropicales comme Alex, qui avait fait de gros dégâts dans le sud de la France. D’autres sont liés à des conditions orageuses, ce qui peut comprendre beaucoup de mécanismes différents en fonction de l’origine des vents et du taux d’humidité dans l’air. « Cela devient intéressant car il nous faut alors cibler des différences entre ces classes d’évènements » révèle Davide Faranda. Mais ces évènements extrêmes sont aussi liés à des mécanismes atmosphériques à une très petite échelle et requièrent une vision précise au niveau des modèles.

Améliorer la visibilité régionale

Ici se retrouve toute la problématique pour la modélisation. La formation des orages implique une agrégation de plus petits nuages (les cumulus), généralement assez mal représentés dans les modèles. Ils sont souvent paramétrés, c’est-à-dire calculés avec une moyenne de leurs effets. De fait les mécanismes à plus grande échelle, les orages et les précipitations associées, ne sont alors pas représentés de manière idéale. Petit à petit les chercheurs augmentent la résolution des modèles pour obtenir ces nouvelles informations et mieux représenter les précipitations orageuses, notamment à travers l’amélioration des observations. « L’utilisation de radar « doppler » pour observer à haute résolution la forme et distribution des pluies associées aux orages nous donne accès à une visibilité sur les clusters d’orages que nous n’avions pas avant » indique Davide Faranda. Mais d’autres aspects sont aussi à prendre en compte, comme la géographie régionale.

Un relief de montagne par exemple a des répercussions sur la localisation et l’intensité des différents phénomènes ainsi que la présence de neige, pour citer quelques exemples. Le relief est donc intégré dans les modèles de climat mais de façon grossière compte tenu de la résolution limitée. Mais lorsque les chercheurs améliorent la résolution d’un modèle et passent d’une précision de 30km à 15km par exemple, la géographie est à revoir en intégrant la hauteur moyenne du relief en chaque nouveau point. « À partir d’un certain seuil, avec des mailles plus fines de 3km ou 4km, il faut redéfinir les équations : certaines hypothèses valides pour des mailles larges ne fonctionnent plus sur des mailles fines » explique le chercheur. « Dès que l’on fait une descente en échelle sur l’atmosphère et que nous travaillons ces équations, il est indispensable de se poser la question de si les processus de l’atmosphère, les interactions avec l’océan, la lithosphère, sont encore bien représentés » souligne-t-il.

Une descente en résolution dans les modèles est cruciale pour voir ces phénomènes à petite échelle et in fine étudier les impacts du changement climatique. Cette visibilité locale est aussi essentielle pour les acteurs de terrain pour prévoir les évolutions au niveau d’une région et s’y préparer. « Il y a eu beaucoup d’efforts de modélisation sur certaines régions comme la méditerranée qui seront mis en avant dans le prochain rapport du GIEC » précise Davide Faranda. Cependant d’autres régions ont reçu moins d’attention et ne disposent pas encore d’une bonne résolution dans les modèles. Et pour que les entreprises ou les décideurs puissent s’organiser et s’adapter au changement climatique, ces connaissances locales sont à développer. C’est dans cet esprit qu’ont été lancés les services climatiques de l’IPSL, pour que les scientifiques puissent travailler de pair avec les acteurs et industriels pour apporter un éclairage sur des problématiques spécifiques à chacun et mettre en place des possibilités d’adaptation au changement climatique.

 

Pour aller plus loin

Découvrir le jeu ClimarisQ : un jeu pour smartphone/web issu d’un projet de médiation scientifique qui met en évidence la complexité du système climatique et l’urgence d’une action collective pour limiter le changement climatique. C’est une appli-jeu où les joueurs doivent prendre des décisions pour limiter la fréquence et les impacts des événements extrêmes.

 

[1] Davide Faranda, M Carmen Alvarez-Castro, G Messori, D Rodrigues, P Yiou. The hammam effect or how a warm ocean enhances large scale atmospheric predictability. Nature Communications, March 2019. DOI: 10.1038/s41467-019-09305-8

Davide Faranda


LSCE-IPSL

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Coraline Leseurre

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Coraline Leseurre, qu’est-ce qui vous a mené en thèse de doctorat ? Après avoir eu mon Bac S, c’est par hasard en dernière année de licence (L3) de chimie à l’Université Pierre et Marie Curie, que j’ai choisi l’option sciences de l’atmosphère et de l’océan. En fin de licence, j’ai eu la chance de pouvoir effectuer un stage de 6 mois au LOCEAN-IPSL sur des données océanographiques. Je suis ensuite partie à l’Institut Universitaire Européen de la Mer à Brest pour faire un master en chimie marine. J’ai complété ma formation à l’université d’Aix-Marseille en rejoignant le M2 d’Océanographie Physique et Biogéochimie. Pendant ces trois années, j’y ai fait 3 stages de master au LOCEAN-IPSL avec Claire Lo Monaco et Gilles Reverdin et, par la même occasion, mes premières campagnes en mer. En 2019, j’ai débuté ma thèse de doctorat sur les mécanismes de contrôle de l’absorption de CO2 anthropique et de l’acidification des eaux dans les océans Atlantique-Nord et Austral, au LOCEAN sous la direction de Gilles Reverdin et Claire Lo Monaco. Coraline Leseurre, en arrière plan le Marion Dufresne @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   En quoi consiste votre travail ? Je suis impliquée dans deux programmes d’observation français : SURATLANT (SURveillance de l’ATLANTique) et OISO (Océan Indien Service d’Observation). SURATLANT (dirigé par Gilles Reverdin depuis sa création en 1993) a  initié l’échantillonnage des propriétés hydrologiques et biogéochimiques dans les eaux de surface de l’océan Atlantique-Nord et un suivi particulier sur la salinité de surface, afin d’améliorer la compréhension de son rôle sur la variabilité et la prévisibilité du climat et du cycle de l’eau. Dans ce but, deux à quatre transits sont réalisés par an, entre Reykjavik (Islande) et Terre-Neuve (Canada) à bord de navires marchands. OISO (créé en 1997 et dirigé par Claire Lo Monaco) a pour but de maintenir l’observation de l’évolution des propriétés océaniques et atmosphériques liées au cycle du carbone dans l’océan Indien Sud et Austral. Une à deux campagnes sont réalisées par an entre La Réunion et les Terres Australes et Antarctiques Françaises, à bord du navire Marion Dufresne. Mon travail consiste donc à mesurer et traiter différents paramètres liés au cycle du carbone, échantillonnés lors de campagnes en mer. Je m’intéresse plus particulièrement à leurs évolutions dans le temps au travers de ces deux services d’observation, en surface et dans la colonne d’eau. J’ai d’ailleurs participé à la mission internationale SWINGS de janvier à mars 2021, dont le but était de mieux comprendre la séquestration du CO2 atmosphérique dans l’océan. Parallèlement à ma thèse, depuis un an et pour une durée de 3 ans, j’enseigne à des Licences (L1 et L3) et des Master. J’assure au minimum 64h de cours par an et souvent en binôme avec Céline Ridame (enseignante-chercheure au LOCEAN-IPSL) dans le cadre de cours/TD de biogéochimie marine. Cette année, j’ai principalement été responsable de TD sur l’orientation et l’insertion professionnelle (en L1 et L3), en conseillant les étudiants dans le choix de leur licence et master, dans la rédaction de leur CV et lettre de motivation pour candidater à des stages.   Pourquoi la recherche ? Une évidence, le hasard ? Bien que n’étant pas issue d’une famille de scientifiques, j’ai toujours été très intéressée par la science en général et par la découverte, l’aventure. Il fallait que je tombe dedans de toute façon, c’est fait ! Plus les années passent, plus je me dis que c’est une évidence !   Votre métier en trois mots Observation : le but des campagnes en mer est d’obtenir des données pour observer Interprétation : regrouper les données, comprendre les mécanismes Transmission : partager mes recherches dans des publications scientifiques, échanger à l’occasion de colloques et conférences, participer à des actions scolaires et grand public comme la Fête de la Science   Si votre travail était un objet, ce serait quoi ? Sans hésiter, un échantillon d’eau de mer, qui provient de l’eau récupérée dans les bouteilles Niskin sur la rosette. C’est le point de départ de tout mon travail, de mes études sur le CO2. Pour le commun des mortels, il n’y a que de l’eau dans un flacon. Pour nous, océanographes, ce flacon est la plus précieuse des ressources. D’ailleurs, le plus beau des cadeaux que j’ai pu recevoir lors de mes campagnes, c’est un échantillon d’eau de mer profonde (5 800 m, cette année sur SWINGS). La rosette et ses bouteilles Niskin d’où les échantillons d’eau seront prélevés @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Prélèvement de l’échantillon d’eau sur la rosette @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Les fameux échantillons @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Une anecdote de campagne Cette année sur SWINGS : réveillée à 3 h du matin par la sonnerie de mon téléphone de cabine puis par des coups tambourinés à la porte « Coralineeeee ! Habille-toi ! Sors maintenant ! Aurores Australes ». Le plus beau des réveils ! Aurores australes @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Comment voyez-vous votre avenir après la thèse ? Après obtention de mon doctorat, normalement en 2022, j’aimerais continuer à travailler dans le même domaine de recherche en tant que post-doctorante pendant environ 5 ans, de façon à approfondir les résultats de mes recherches et à en découvrir de nouveaux, faire de nouvelles rencontres scientifiques, en France ou ailleurs. Etant donné mon attrait pour l’enseignement, d’ici à 10 ans je souhaiterais être enseignante-chercheure, même si je sais que les postes ne sont pas nombreux. Si je ne trouve pas de poste, je pourrais devenir ingénieure pour continuer à évoluer dans la recherche. Sinon, étant donné que j’adore l’enseignement et partager avec les jeunes, j’irais volontiers travailler en collège ou en lycée comme professeur de Physique Chimie.   Votre mot de la fin J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours d’étudiante de côtoyer tôt l’océanographie depuis mon stage de L3. Tous les étudiants n’ont pas cette opportunité et, cumuler 5 grandes campagnes en mer en seconde année de thèse est très rare. J’ai aussi eu la chance de pouvoir débarquer sur Crozet et Kerguelen et de voir d’autres îles subantarctiques et polaires comme Heard. J’en suis vraiment heureuse ! Débarquement du Marion Dufresne en direction de l’archipel Crozet @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Au large de l’île subantarctique australienne Heard @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Contact : ICom, service de communication IPSL,