Changement climatique : une addition salée pour l’océan


La salinité est un paramètre essentiel pour comprendre les systèmes océaniques et leur évolution. C’est une mesure centrale du Service d’Observation National (SNO) nommé Sea Surface Salinity (SSS) qui repose sur l’observation d’opportunité programmée sur des bateaux de commerces, des voiliers et parfois navires de recherche. Gilles Reverdin, océanographe au LOCEAN-IPSL et acteur de longue date du réseau SSS, discute des enjeux de ce SNO et de son rôle dans le suivi du cycle hydrologique de notre planète.

L’observation de l’océan et les mesures associées sont essentielles à la compréhension des systèmes océaniques. Ces données fournissent les modèles climatiques et permettent de les valider grâce au maintien de longues séries de mesures pour observer l’évolution des tendances. Le Service National d’Observation Sea Surface and Salinity (SNO SSS) repose principalement sur des observations d’opportunité, c’est-à-dire des lignes de navires déjà installées, pour prendre des mesures de l’océan. Les 12 lignes actuelles peuvent concerner des lignes de commerces, mais aussi de voiliers ou encore de navires de recherche. « Je faisais partie des chercheurs essayant dans les années 1980-1990 de monter ce réseau, aujourd’hui coordonné par le LEGOS à Toulouse » précise Gilles Reverdin, chercheur en océanographie au laboratoire LOCEAN-IPSL et acteur de longue date du SNO SSS.

Ce réseau a une couverture assez globale des systèmes océaniques. Les observations s’étendent de l’océan austral au pacifique jusqu’à l’atlantique nord, en passant par les zones tropicales. Et depuis près de 30 ans, l’utilisation de navires de recherches leur offre aussi une couverture du sud de l’océan Indien et de la Tasmanie. Le réseaux SSS a beaucoup évolué depuis ses premiers jours. Aujourd’hui une grande partie des mesures sont automatisées sur les navires, notamment pour la température et la salinité. Cela dit des prélèvements sont toujours nécessaires pour des flacons d’étalonnages et des mesures de certains paramètres chimiques de l’océan, comme les sels nutritifs ou le carbone dissous.

Quelles mesures ?

Mais les lignes de bateaux ne sont pas seules à la tâche. Ces mesures sont aussi associées à des observations via satellites et des balises Argo fournissant des informations sur une échelle globale. « Pour suivre le puit océanique de CO2 anthropique il faut être sur le terrain, mais les missions satellitaires sont un grand atout pour suivre la salinité de surface » soutient le chercheur. Les flotteurs Argo apportent un ensemble de données sur les couches de surface mais aussi plus profondes de l’océan, dérivant à 2 000 mètres de profondeur.

L’utilisation de satellites est assez récente, depuis 2010, et il persiste encore des difficultés pour avoir une bonne résolution à la surface de l’océan. Notamment dans l’atlantique Nord les signaux sont perturbés par des interférences avec les activités anthropiques, comme les émissions de radars limitant la qualité des mesures. Ces données ont alors besoin d’être calibrées, interprétées, d’où l’importance de coupler des mesures in situ et satellitaires pour étalonner et valider ces dernières.

« Une particularité du SNO SSS est d’avoir des données en temps réel et en temps différé » souligne Gilles Reverdin. Les instruments peuvent être sujets à des biais de mesures, des dérives ou encore un dépôt à la surface de l’appareil perturbant les résultats. Les chercheurs ont alors besoin de les corriger pour les valider, donnant un jeu de données en temps naturel qui alimente le réseau Coriolis et un autre en temps différé après une année. Celles-ci, de plus haute résolution, sont très utiles au monde de la recherche. Elles sont disponibles ainsi que d’autres produits dérivés associés au Service de Données de l’OMP et sur le portail web du Pôle océan ODATIS.

Des enjeux liés

« Historiquement nous portions plutôt un regard sur la salinité et la variabilité dans les régions tropicales » souligne le chercheur. La concentration de sel dans l’eau de mer est un paramètre intimement lié aux mécanismes de circulation océanique. Plus une eau est salée plus elle est dense, et les différences de densités entre les masses d’eau est un des paramètres entraînant la circulation océanique. Si les concentrations venaient à changer, cela perturberait le mécanisme amenant ces masses d’eau à plonger en profondeur lorsqu’elles se refroidissent aux hautes latitudes. Mais les missions du SNO sont plus larges et visent dans l’ensemble à comprendre l’évolution du cycle hydrologique de notre planète.

Dans les années 1990, une autre vision émerge : celle du déplacement vers le sud des fronts froids du cercle polaire avec une augmentation des précipitations au sud de 45°S. « Dans les années 2000 se déploie aussi un intérêt marqué associé à la fonte des calottes glaciaires. Essentiellement dans le nord du Groenland et banquise arctique, mais aussi dans tout le secteur ouest de la péninsule antarctique au niveau de la mer de Ross » détaille-t-il. Les mesures visent alors à éclairer sur la part respective de la fonte des calottes glaciaires ou des précipitations sur la baisse de la salinité dans ces régions. « Nous savons que les valeurs changent, mais il reste des incertitudes assez fortes au niveau global et régional sur les échanges hydrologiques et sur le bilan entre évaporation et précipitation » indique Gilles Reverdin.

Les observations s’intéressent aussi à la pression partielle de CO2 (PCO2), la concentration de gaz carbonique dissous dans l’océan pour avoir un suivi des échanges entre l’air et la mer. Les chercheurs comparent alors les concentrations de surface de l’océan et celle de l’atmosphère, cette dernière étant plus stable et mieux connue, pour déterminer le flux de carbone entre les deux. Gilles Reverdin précise que « ces valeurs sont très sensibles aux blooms efflorescents et aux phénomènes d’upwelling », un phénomène laissant remonter des eaux profondes, entraînant avec elles des nutriments.

Porter un regard sur les changements potentiels du bilan des échanges entre atmosphère et océan est alors un autre volet des observations océaniques. « Les différents phénomènes océaniques sont intimement liés, ce qui nous amène aussi à s’intéresser à des sujets tels que l’oxygénation des couches de surface et l’acidification des océans » ajoute-t-il. Les données océaniques récoltées par le SNO SSS sont des ressources clé, non seulement pour contraindre les modèles, mais aussi pour réduire globalement les incertitudes encore présentes dans la compréhension des systèmes océaniques.

 

Pour en savoir plus

Voir le site du SNO Sea Surface Salinity

Gilles Reverdin


LOCEAN-IPSL

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Spotlight

Coraline Leseurre

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Coraline Leseurre, qu’est-ce qui vous a mené en thèse de doctorat ? Après avoir eu mon Bac S, c’est par hasard en dernière année de licence (L3) de chimie à l’Université Pierre et Marie Curie, que j’ai choisi l’option sciences de l’atmosphère et de l’océan. En fin de licence, j’ai eu la chance de pouvoir effectuer un stage de 6 mois au LOCEAN-IPSL sur des données océanographiques. Je suis ensuite partie à l’Institut Universitaire Européen de la Mer à Brest pour faire un master en chimie marine. J’ai complété ma formation à l’université d’Aix-Marseille en rejoignant le M2 d’Océanographie Physique et Biogéochimie. Pendant ces trois années, j’y ai fait 3 stages de master au LOCEAN-IPSL avec Claire Lo Monaco et Gilles Reverdin et, par la même occasion, mes premières campagnes en mer. En 2019, j’ai débuté ma thèse de doctorat sur les mécanismes de contrôle de l’absorption de CO2 anthropique et de l’acidification des eaux dans les océans Atlantique-Nord et Austral, au LOCEAN sous la direction de Gilles Reverdin et Claire Lo Monaco. Coraline Leseurre, en arrière plan le Marion Dufresne @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   En quoi consiste votre travail ? Je suis impliquée dans deux programmes d’observation français : SURATLANT (SURveillance de l’ATLANTique) et OISO (Océan Indien Service d’Observation). SURATLANT (dirigé par Gilles Reverdin depuis sa création en 1993) a  initié l’échantillonnage des propriétés hydrologiques et biogéochimiques dans les eaux de surface de l’océan Atlantique-Nord et un suivi particulier sur la salinité de surface, afin d’améliorer la compréhension de son rôle sur la variabilité et la prévisibilité du climat et du cycle de l’eau. Dans ce but, deux à quatre transits sont réalisés par an, entre Reykjavik (Islande) et Terre-Neuve (Canada) à bord de navires marchands. OISO (créé en 1997 et dirigé par Claire Lo Monaco) a pour but de maintenir l’observation de l’évolution des propriétés océaniques et atmosphériques liées au cycle du carbone dans l’océan Indien Sud et Austral. Une à deux campagnes sont réalisées par an entre La Réunion et les Terres Australes et Antarctiques Françaises, à bord du navire Marion Dufresne. Mon travail consiste donc à mesurer et traiter différents paramètres liés au cycle du carbone, échantillonnés lors de campagnes en mer. Je m’intéresse plus particulièrement à leurs évolutions dans le temps au travers de ces deux services d’observation, en surface et dans la colonne d’eau. J’ai d’ailleurs participé à la mission internationale SWINGS de janvier à mars 2021, dont le but était de mieux comprendre la séquestration du CO2 atmosphérique dans l’océan. Parallèlement à ma thèse, depuis un an et pour une durée de 3 ans, j’enseigne à des Licences (L1 et L3) et des Master. J’assure au minimum 64h de cours par an et souvent en binôme avec Céline Ridame (enseignante-chercheure au LOCEAN-IPSL) dans le cadre de cours/TD de biogéochimie marine. Cette année, j’ai principalement été responsable de TD sur l’orientation et l’insertion professionnelle (en L1 et L3), en conseillant les étudiants dans le choix de leur licence et master, dans la rédaction de leur CV et lettre de motivation pour candidater à des stages.   Pourquoi la recherche ? Une évidence, le hasard ? Bien que n’étant pas issue d’une famille de scientifiques, j’ai toujours été très intéressée par la science en général et par la découverte, l’aventure. Il fallait que je tombe dedans de toute façon, c’est fait ! Plus les années passent, plus je me dis que c’est une évidence !   Votre métier en trois mots Observation : le but des campagnes en mer est d’obtenir des données pour observer Interprétation : regrouper les données, comprendre les mécanismes Transmission : partager mes recherches dans des publications scientifiques, échanger à l’occasion de colloques et conférences, participer à des actions scolaires et grand public comme la Fête de la Science   Si votre travail était un objet, ce serait quoi ? Sans hésiter, un échantillon d’eau de mer, qui provient de l’eau récupérée dans les bouteilles Niskin sur la rosette. C’est le point de départ de tout mon travail, de mes études sur le CO2. Pour le commun des mortels, il n’y a que de l’eau dans un flacon. Pour nous, océanographes, ce flacon est la plus précieuse des ressources. D’ailleurs, le plus beau des cadeaux que j’ai pu recevoir lors de mes campagnes, c’est un échantillon d’eau de mer profonde (5 800 m, cette année sur SWINGS). La rosette et ses bouteilles Niskin d’où les échantillons d’eau seront prélevés @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Prélèvement de l’échantillon d’eau sur la rosette @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Les fameux échantillons @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Une anecdote de campagne Cette année sur SWINGS : réveillée à 3 h du matin par la sonnerie de mon téléphone de cabine puis par des coups tambourinés à la porte « Coralineeeee ! Habille-toi ! Sors maintenant ! Aurores Australes ». Le plus beau des réveils ! Aurores australes @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Comment voyez-vous votre avenir après la thèse ? Après obtention de mon doctorat, normalement en 2022, j’aimerais continuer à travailler dans le même domaine de recherche en tant que post-doctorante pendant environ 5 ans, de façon à approfondir les résultats de mes recherches et à en découvrir de nouveaux, faire de nouvelles rencontres scientifiques, en France ou ailleurs. Etant donné mon attrait pour l’enseignement, d’ici à 10 ans je souhaiterais être enseignante-chercheure, même si je sais que les postes ne sont pas nombreux. Si je ne trouve pas de poste, je pourrais devenir ingénieure pour continuer à évoluer dans la recherche. Sinon, étant donné que j’adore l’enseignement et partager avec les jeunes, j’irais volontiers travailler en collège ou en lycée comme professeur de Physique Chimie.   Votre mot de la fin J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours d’étudiante de côtoyer tôt l’océanographie depuis mon stage de L3. Tous les étudiants n’ont pas cette opportunité et, cumuler 5 grandes campagnes en mer en seconde année de thèse est très rare. J’ai aussi eu la chance de pouvoir débarquer sur Crozet et Kerguelen et de voir d’autres îles subantarctiques et polaires comme Heard. J’en suis vraiment heureuse ! Débarquement du Marion Dufresne en direction de l’archipel Crozet @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Au large de l’île subantarctique australienne Heard @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Contact : ICom, service de communication IPSL,