Les COV biogéniques, l’ingrédient (mystère) de la cuisine atmosphérique


Notre atmosphère est constituée de nombreux composés qui réagissent ensemble et entrainent la formation de nouveaux éléments. Ces aspects de chimie atmosphériques sont essentiels pour comprendre les interactions dans l’atmosphère et leur impact sur le climat, et les évolutions possibles. Juliette Lathière, chercheuse CNRS au LSCE-IPSL, présente un sujet conséquent de la chimie atmosphérique et de l’étude de la biosphère : les composés organiques volatils biogéniques (COVB).

Les COV, composés organiques volatils, nous commençons à bien les connaître. Souvent utilisés dans les produits de nettoyage ou en solvant, ils restent sous forme gazeuse dans l’atmosphère et il est régulièrement conseillé d’aérer l’air intérieur pour les éviter. Ce qui est moins connu, c’est que la grande majorité d’entre-eux sont naturellement émis par les plantes : ce sont les COV biogéniques. Cela comprend une multitude de composés différents essentiels au bon fonctionnement des végétaux.  « Ces COV jouent un rôle important en terme de thermotolérance (aide dans le cas d’augmentations fortes de la température), lutte contre l’oxydation, mais également dans la communication plantes-plantes et plantes-insectes » illustre Juliette Lathière, chercheuse au LSCE-IPSL. « Ces composés représentent en moyenne 2% à 3% du carbone assimilé mais cela peut grimper jusque 10% en période de stress, hydrique notamment » ajoute-t-elle.

Les COV biogéniques sont des composés généralement très réactifs. Ils sont rapidement oxydés par le radical hydroxyle OH, l’agent nettoyant de l’atmosphère, et entrent en réaction avec d’autres composés aboutissant à la production d’ozone ou d’aérosols organiques secondaires. « C’est une petite cuisine entre différents composés qui peuvent entraîner une augmentation ou diminution d’ozone » précise-t-elle. Il en existe des centaines, voire des milliers. Certains à des niveaux d’émissions importants et d’autres à des niveaux beaucoup plus faibles, les rendant difficilement détectables dans l’atmosphère. Les composés émis et le niveau d’émissions dépendent fortement du type de végétation source, avec l’isoprène et les monoterpènes en tête des COV biogéniques les plus émis à l’échelle globale. Et les COV biogéniques sont très dépendant des conditions environnementales qui les entourent, par exemple de la température, du rayonnement, humidité du sol ou encore des concentrations des autres composés présents dans l’atmosphère comme le dioxyde de carbone.

A plantes différentes, composés différents

Les différents composés ont des réactivités chimiques différentes. Ce qui intéresse particulièrement les chercheurs est leur impact sur la composition chimique de l’atmosphère et, in fine, potentiellement le climat. Ces réactions affectent les concentrations d’ozone, de méthane et entrainent la formation de nouveaux éléments comme les aérosols organiques secondaires, pouvant agir sur la température ou les précipitations locales. L’action de remplacer une certaine espèce végétale par une autre, pour des raisons de productivité agricole par exemple, affecte le type de COV biogéniques se retrouvant dans l’air. Une certaine espèce d’arbre ou de culture n’aura pas les mêmes types de composés émis que d’autres, ni dans les mêmes quantités. Notre impact sur l’utilisation des terres a donc un effet direct sur le type de composés qui se retrouve dans l’atmosphère et les réactions que cela entraîne.

En Indonésie notamment, beaucoup de forêts originelles sont remplacées par des cultures à croissance plus rapide comme les palmiers à huile et s’accompagnent du développement de toute une infrastructure industrielle et routière.  « Cette activité de transport est fortement émettrice d’oxyde d’azote et les palmiers à huile sont de forts émetteurs d’isoprène, à des niveaux bien plus élevés que les forêts originelles qu’ils remplacent. Ensemble ils réagissent et entrainent des concentrations d’ozone importantes pouvant poser des problèmes de qualité de l’air pour les populations locales » explique Juliette Lathière.

Un autre lien, plus difficile à quantifier, agit sur la formation des nuages. « Ces aérosols secondaires peuvent constituer des noyaux de condensation et modifier la formation de nuages, ayant donc un effet significatif pour le climat » détaille la chercheuse. Si le rôle des COV biogéniques dans la composition chimique de l’atmosphère est indéniable, leur impact sur le climat et la modification du forçage radiatif reste toutefois mineur comparé à celui des gaz à effet de serre. Ce sujet d’étude avance mais de nombreuses incertitudes persistent sur les liens entre les conditions environnementales, les types et les quantités de COV biogéniques émis, le rôle de leur oxydation sur la formation d’aérosols organiques secondaires, l’impact sur le climat et leur évolution.

Une grande variabilité

Mieux comprendre ces liens est crucial pour saisir la place des COV biogéniques dans le cycle atmosphérique et plus généralement dans le climat. Mais estimer ces émissions et leur formation n’est pas chose facile car ils présentent une très forte variabilité. Les émissions peuvent varier d’une branche à une autre, et il est extrêmement difficile de les représenter de manière précise. « Ce que nous essayons de faire est déjà d’estimer ces émissions sur un site, à l’échelle d’une forêt » annonce Juliette Lathière. Une campagne de terrain offre un diagnostic ponctuel des flux d’émissions au niveau des feuilles et des concentrations au niveau de la canopée où les COV biogéniques les plus réactifs interagissent. « Les COV sont émis majoritairement par les feuilles, dans une moindre mesure par les troncs, les branches ou encore le sol et certains composés réagissent au sein de la canopée et n’iront pas interagir dans l’atmosphère » précise la chercheuse.

La difficulté subsiste dans la tentative d’extrapoler ces informations sur site à une échelle plus large et de savoir si cela est vraiment représentatif. L’utilisation de données satellites peut aussi être un atout pour évaluer les quantités de composés présents dans l’atmosphère. « Il y a un facteur d’incertitude important mais en s’appuyant sur des mesures de terrain, des mesures de flux sur tours et des données satellites nous pouvons avoir accès à des informations complémentaires nous permettant d’évaluer nos modèles globaux » explique-t-elle. Avoir une bonne connaissance des composés émis en fonction des conditions environnementales et de leur place dans la chimie atmosphérique et le climat est une étape clé pour estimer l’évolution future des COV biogéniques et de leur rôle au cœur du Système Terre.

Joindre les forces

Les émissions de COV biogéniques ont un impact plus discret que les émissions de GES de source anthropiques sur le bilan radiatif. Cependant, leur compréhension n’en est pas moins centrale pour dresser un tableau réaliste des processus chimiques et climatiques et de leurs évolutions en prenant en compte toutes les boucles de rétroactions possibles. Les chercheurs associent pour cela des modèles globaux de climat (LMDZ), de biosphère continentale (ORCHIDEE, intégrant le calcul des émissions de COVB) et de chimie de l’atmosphère (INCA) pour réaliser des simulations prenant en compte l’ensemble de ces interactions biosphère-chimie-climat.  Différent scénarios d’utilisation des sols et de conditions environnementales sont utilisés pour comprendre ce qui se passe au niveau des émissions et des implications pour la chimie et le climat. « Une évolution de la température par exemple aura un impact positif sur les émissions de COV, dont l’amplitude peut aussi varier localement avec l’apparition de hot spots dans certaines régions » précise Juliette Lathière.

Ce couplage de modèles permet une étude de l’évolution possible des interactions entre composition chimique de l’atmosphère, monde végétal et climat futur. « Des études expérimentales[1] en laboratoire ont montré qu’une augmentation du CO2 atmosphérique a tendance à réduire la capacité d’émissions de COVB des plantes, particulièrement dans le cas de l’isoprène » illustre la chercheuse. D’autres facteurs sont à prendre en compte comme les changements de la température et du rayonnement solaire ou encore du changement d’utilisation des terres. Certains favorisant, d’autres diminuant les émissions de COV biogéniques, et l’effet résultant est lui aussi soumis à une forte incertitude.

« Nous voyons aujourd’hui que ce sujet d’étude des interactions entre biosphère continentale, chimie atmosphérique et climat prend de l’ampleur, et ce depuis quelques années. Nous développons des modèles prenant en compte l’ensemble des interactions et rétroactions existantes, qui sont également traités désormais dans le rapport du GIEC » souligne-t-elle. Il reste des incertitudes importantes dans ce domaine mais associer des études d’expérimentation de terrain et de modélisation et en utilisant des modèles couplés aidera à y voir plus clair. « C’est en joignant les forces de scientifiques travaillant sur les modèles, sur les mesures in situ et en laboratoire et sur les données satellites que nous allons progresser et diminuer les incertitudes sur les COV biogéniques et leurs impacts » conclut Juliette Lathière.

 

[1] Possell, M., & Hewitt, C. N. (2011). Isoprene emissions from plants are mediated by atmospheric CO2 concentrations. Global Change Biology, 17(4), 1595-1610.

Wilkinson, M. J., Monson, R. K., Trahan, N., Lee, S., Brown, E., Jackson, R. B., … & Fall, R. A. Y. (2009). Leaf isoprene emission rate as a function of atmospheric CO2 concentration. Global Change Biology, 15(5), 1189-1200.

Juliette Lathière


LSCE-IPSL

Au fil de la page


Spotlight

Coraline Leseurre

spotlight_img
Coraline Leseurre, qu’est-ce qui vous a mené en thèse de doctorat ? Après avoir eu mon Bac S, c’est par hasard en dernière année de licence (L3) de chimie à l’Université Pierre et Marie Curie, que j’ai choisi l’option sciences de l’atmosphère et de l’océan. En fin de licence, j’ai eu la chance de pouvoir effectuer un stage de 6 mois au LOCEAN-IPSL sur des données océanographiques. Je suis ensuite partie à l’Institut Universitaire Européen de la Mer à Brest pour faire un master en chimie marine. J’ai complété ma formation à l’université d’Aix-Marseille en rejoignant le M2 d’Océanographie Physique et Biogéochimie. Pendant ces trois années, j’y ai fait 3 stages de master au LOCEAN-IPSL avec Claire Lo Monaco et Gilles Reverdin et, par la même occasion, mes premières campagnes en mer. En 2019, j’ai débuté ma thèse de doctorat sur les mécanismes de contrôle de l’absorption de CO2 anthropique et de l’acidification des eaux dans les océans Atlantique-Nord et Austral, au LOCEAN sous la direction de Gilles Reverdin et Claire Lo Monaco. Coraline Leseurre, en arrière plan le Marion Dufresne @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   En quoi consiste votre travail ? Je suis impliquée dans deux programmes d’observation français : SURATLANT (SURveillance de l’ATLANTique) et OISO (Océan Indien Service d’Observation). SURATLANT (dirigé par Gilles Reverdin depuis sa création en 1993) a  initié l’échantillonnage des propriétés hydrologiques et biogéochimiques dans les eaux de surface de l’océan Atlantique-Nord et un suivi particulier sur la salinité de surface, afin d’améliorer la compréhension de son rôle sur la variabilité et la prévisibilité du climat et du cycle de l’eau. Dans ce but, deux à quatre transits sont réalisés par an, entre Reykjavik (Islande) et Terre-Neuve (Canada) à bord de navires marchands. OISO (créé en 1997 et dirigé par Claire Lo Monaco) a pour but de maintenir l’observation de l’évolution des propriétés océaniques et atmosphériques liées au cycle du carbone dans l’océan Indien Sud et Austral. Une à deux campagnes sont réalisées par an entre La Réunion et les Terres Australes et Antarctiques Françaises, à bord du navire Marion Dufresne. Mon travail consiste donc à mesurer et traiter différents paramètres liés au cycle du carbone, échantillonnés lors de campagnes en mer. Je m’intéresse plus particulièrement à leurs évolutions dans le temps au travers de ces deux services d’observation, en surface et dans la colonne d’eau. J’ai d’ailleurs participé à la mission internationale SWINGS de janvier à mars 2021, dont le but était de mieux comprendre la séquestration du CO2 atmosphérique dans l’océan. Parallèlement à ma thèse, depuis un an et pour une durée de 3 ans, j’enseigne à des Licences (L1 et L3) et des Master. J’assure au minimum 64h de cours par an et souvent en binôme avec Céline Ridame (enseignante-chercheure au LOCEAN-IPSL) dans le cadre de cours/TD de biogéochimie marine. Cette année, j’ai principalement été responsable de TD sur l’orientation et l’insertion professionnelle (en L1 et L3), en conseillant les étudiants dans le choix de leur licence et master, dans la rédaction de leur CV et lettre de motivation pour candidater à des stages.   Pourquoi la recherche ? Une évidence, le hasard ? Bien que n’étant pas issue d’une famille de scientifiques, j’ai toujours été très intéressée par la science en général et par la découverte, l’aventure. Il fallait que je tombe dedans de toute façon, c’est fait ! Plus les années passent, plus je me dis que c’est une évidence !   Votre métier en trois mots Observation : le but des campagnes en mer est d’obtenir des données pour observer Interprétation : regrouper les données, comprendre les mécanismes Transmission : partager mes recherches dans des publications scientifiques, échanger à l’occasion de colloques et conférences, participer à des actions scolaires et grand public comme la Fête de la Science   Si votre travail était un objet, ce serait quoi ? Sans hésiter, un échantillon d’eau de mer, qui provient de l’eau récupérée dans les bouteilles Niskin sur la rosette. C’est le point de départ de tout mon travail, de mes études sur le CO2. Pour le commun des mortels, il n’y a que de l’eau dans un flacon. Pour nous, océanographes, ce flacon est la plus précieuse des ressources. D’ailleurs, le plus beau des cadeaux que j’ai pu recevoir lors de mes campagnes, c’est un échantillon d’eau de mer profonde (5 800 m, cette année sur SWINGS). La rosette et ses bouteilles Niskin d’où les échantillons d’eau seront prélevés @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Prélèvement de l’échantillon d’eau sur la rosette @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Les fameux échantillons @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Une anecdote de campagne Cette année sur SWINGS : réveillée à 3 h du matin par la sonnerie de mon téléphone de cabine puis par des coups tambourinés à la porte « Coralineeeee ! Habille-toi ! Sors maintenant ! Aurores Australes ». Le plus beau des réveils ! Aurores australes @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Comment voyez-vous votre avenir après la thèse ? Après obtention de mon doctorat, normalement en 2022, j’aimerais continuer à travailler dans le même domaine de recherche en tant que post-doctorante pendant environ 5 ans, de façon à approfondir les résultats de mes recherches et à en découvrir de nouveaux, faire de nouvelles rencontres scientifiques, en France ou ailleurs. Etant donné mon attrait pour l’enseignement, d’ici à 10 ans je souhaiterais être enseignante-chercheure, même si je sais que les postes ne sont pas nombreux. Si je ne trouve pas de poste, je pourrais devenir ingénieure pour continuer à évoluer dans la recherche. Sinon, étant donné que j’adore l’enseignement et partager avec les jeunes, j’irais volontiers travailler en collège ou en lycée comme professeur de Physique Chimie.   Votre mot de la fin J’ai eu beaucoup de chance dans mon parcours d’étudiante de côtoyer tôt l’océanographie depuis mon stage de L3. Tous les étudiants n’ont pas cette opportunité et, cumuler 5 grandes campagnes en mer en seconde année de thèse est très rare. J’ai aussi eu la chance de pouvoir débarquer sur Crozet et Kerguelen et de voir d’autres îles subantarctiques et polaires comme Heard. J’en suis vraiment heureuse ! Débarquement du Marion Dufresne en direction de l’archipel Crozet @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Au large de l’île subantarctique australienne Heard @ C. Leseurre, LOCEAN-IPSL   Contact : ICom, service de communication IPSL,